Suicides dans la fonction publique : des agents surexposés à un risque ignoré

Le phénomène n’est pas nouveau : certains secteurs professionnels apparaissent comme particulièrement exposés au risque suicidaire. Dans la fonction hospitalière par exemple, la santé psychologique des soignants se dégrade d’année en année : en 2025, 35 % d’entre eux se déclarent en mauvaise santé mentale, contre 29 % en 2020, selon un baromètre réalisé par Odoxa et la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH). Si les données demeurent difficiles à établir avec précision, les études soulignent que les médecins (en particulier les femmes) présentent un risque de suicide supérieur à la moyenne nationale, et que les internes ont trois fois plus de risque de mourir par suicide que leurs pairs du même âge.

Un constat similaire se dessine dans l’éducation nationale. Selon l’association Helpen, environ 400 enseignants et personnels éducatifs se suicident chaque année, un chiffre qui témoigne là encore d’une surreprésentation préoccupante par rapport à la population générale. L’épuisement professionnel, la charge émotionnelle et les conditions de travail fragilisent durablement ces professions pourtant essentielles au fonctionnement de la société. Nous recevons depuis plusieurs jours des réactions incrédules de la part de plusieurs journalistes, ainsi que de collègues. Pourtant, ce nombre, au moins un suicide par jour, est le résultat d'une étude de notre département Statistiques, qui se base . Notre association ambitionne de publier ses statistiques, faute de données précises de la part du Ministère sur ce sujet et sur celui du harcèlement moral.

Face à cette crise silencieuse, notre association formule plusieurs recommandations :

• Renforcer la prévention par des dispositifs d’écoute et de soutien psychologique accessibles et confidentiels, adaptés aux réalités spécifiques de chaque métier.

• Mettre en place des mécanismes de protection efficaces pour prévenir et traiter rapidement les situations de harcèlement moral, facteur majeur d’épuisement et de passage à l’acte.

• Développer une culture institutionnelle de la vigilance, qui reconnaisse et prenne en charge les signaux de souffrance au travail avant qu’ils ne dégénèrent en drame.

Dans cette perspective, nous annonçons la construction d’une plateforme nationale de signalement des faits de harcèlement moral au sein de l’éducation nationale. Cet outil, inédit, vise à offrir aux personnels un espace sécurisé pour alerter, être orientés et trouver un accompagnement. La démarche s’inscrit dans une volonté plus large : faire émerger des solutions structurelles à un phénomène qui touche profondément deux piliers du service public, l’hôpital et l’école.

Suicidalité et harcèlement moral dans l’Éducation nationale

Des chiffres alarmants (France, population générale)

• En 2021, 4,2 % des adultes ont déclaré des idées suicidaires sur 12 mois et 0,5 % une tentative (Santé publique France, BEH 2024).

• Rapporté aux 1,21 million de personnels de l’Éducation nationale (DEPP 2023/24), cela correspond à environ 50 900 personnes avec des idées suicidaires et 6 100 tentatives chaque année.

Prévalence du harcèlement et comportements humiliants

• 13,7 % : France, tous secteurs, violences au travail sur 12 mois (EWCS 2015, Yoon 2021).

• 9 % : Moyenne européenne, secteur éducation, comportements humiliants (EWCS 2024 First findings).

Risque de suicidalité lié au harcèlement

• Une méta-analyse internationale (Luo et al., 2023) montre que les personnes harcelées au travail ont 2 fois plus de risque d’avoir des idées suicidaires et près de 3 fois plus de risque de faire une tentative ou un suicide.

• Une grande étude nordique (Magnusson Hanson et al., 2023) confirme un sur-risque d’environ 30 % de tentative ou décès par suicide après exposition à des violences ou du harcèlement.

• Au Danemark (Conway et al., 2022), le risque de comportement suicidaire est 65 % plus élevé chez les personnes harcelées. Chez les hommes, l’étude retrouve une association forte, avec un risque estimé environ doublé pour le décès par suicide.

Estimations attribuables au harcèlement (ordre de grandeur)

En croisant données françaises et européennes :

• Idées suicidaires attribuables : ≈ 4 300 cas/an (≈ 1 sur 10).

• Passages à l'acte attribuables : entre 330 et 800 cas/an selon les modèles (≈ 1 sur 8).

Ce sont des estimations modélisées par notre département Statistiques, fondées sur les taux nationaux (BEH 2024) et sur des risques relatifs publiés (Luo 2023 ; Magnusson Hanson 2023). Elles ne constituent pas un recensement officiel.

Messages clés• L’Éducation nationale figure parmi les secteurs européens les plus exposés aux

comportements humiliants (EWCS 2024).

• Le harcèlement moral est un enjeu majeur de santé publique et de prévention du suicide.

• Des milliers de vies sont affectées chaque année par ce phénomène, dont plusieurs centaines de tentatives de suicide chez les personnels.

Références (sélection)

• Santé publique France (2024). BEH n°5, Prévalence des idées et tentatives de suicide en 2021.

• DEPP (2024). L’éducation nationale en chiffres, rentrée 2023/24.

• Eurofound (2025). EWCS 2024 First findings – comportements humiliants par secteur.

• Yoon, S. (2021). Comparative study sur WPV12, EWCS 2015.

• Luo Z. et al. (2023). Public Health. Meta-analysis bullying & suicide risk.

• Magnusson Hanson L.L.M. et al. (2023). Lancet Public Health. Cohortes nordiques.

• Conway P.M. et al. (2022). Scand J Work Environ Health. Danemark.