HELPEN - ASSOCIATION RECONNUE D'INTERET GENERAL - LUTTE CONTRE LE HARCELEMENT MORAL ENTRE PERSONNELS DE L'EDUCATION NATIONALE

Inaction généralisée sur l’académie de Reims

L’affaire du professeur Pascal Vey, accusé de viols et d’agressions sexuelles sur élèves, révèle une chaîne d’inaction systémique au sein de l’Éducation nationale. Pendant plus de deux ans, malgré des signalements répétés de personnels et d’associations, les responsables du lycée Bayen, l’académie de Reims et le rectorat ont minimisé les alertes et retardé toute mesure de protection des élèves.

Helpen

10/1/20256 min read

ANALYSE HELPEN - Académie de Reims

L’affaire du professeur Pascal Vey, accusé de viols et d’agressions sexuelles sur élèves, révèle une chaîne d’inaction systémique au sein de l’Éducation nationale. Pendant plus de deux ans, malgré des signalements répétés de personnels et d’associations, les responsables du lycée Bayen, l’académie de Reims et le rectorat ont minimisé les alertes et retardé toute mesure de protection des élèves.

Lisez à ce sujet l'exceptionnel travail de recherche de Isabelle FORBOTEAUX, de France Info : https://france3-regions.franceinfo.fr/grand-est/marne/reims/viols-au-lycee-bayen-le-rapport-de-l-education-nationale-qui-pointe-l-inaction-des-responsables-apres-les-premiers-signalements-3221537.html

La proviseure a omis de transmettre plusieurs témoignages et alertes pendant seize mois. Les inspectrices, le DRH et la cheffe de cabinet du recteur ont, eux aussi, étouffé les signaux, préférant voir dans les dénonciations une “chamaillerie locale” ou un “conflit interpersonnel” plutôt qu’un danger grave.

Au rectorat de Reims, Olivier Brandouy, recteur de l’époque, est accusé d’avoir considéré la situation comme un simple différend professionnel. Malgré les dossiers fournis et l’article 40 déclenché par une association, il n’a pris aucune décision de suspension ou d’enquête sérieuse. Sa position a été confortée par des services juridiques inertes et par une procureure qui, elle aussi, a minimisé les faits.

Le rapport de l’Inspection générale souligne ainsi une inaction à tous les niveaux : proviseure, inspectrices, rectorat, DRH, jusqu’au ministère. L’administration a davantage protégé son image et ses cadres que les victimes, allant jusqu’à discréditer les lanceurs d’alerte, en particulier la professeure de sport qui avait persisté à dénoncer les faits.

Conséquence : pendant deux années, aucun dispositif sérieux n’a été mis en place pour protéger les élèves, et ce malgré des témoignages accablants. La suspension de Pascal Vey n’est intervenue qu’en septembre 2023, après une plainte déposée par un ancien élève et alors que le scandale devenait public.

Aujourd’hui encore, aucun des cadres de l’académie de Reims n’a été sanctionné : la proviseure a été mutée en Haute-Savoie, son adjoint est devenu principal, le DRH et les inspectrices sont toujours en poste, et Olivier Brandouy a même été promu au cabinet du Premier ministre.

Pourtant, le 28 avril 2025, dans une interview accordée aux équipes de France 3 Grand Est, Catherine Corvellec, proviseure de Bayen entre 2016 et 2019, affirmait avoir « déjà alerté en 2016 sa hiérarchie » suite à un courrier anonyme dénonçant les agissements de Pascal Vey. Réponse que lui aurait adressé Jean-Paul Obéllianne, directeur académique de la Marne à l'époque : « Il faut rester attentif (…), on ne peut rien faire avec ça. Il n'y a rien d'écrit là-dedans qui permette quoi que ce soit. » http://www2.lhebdoduvendredi.com/article/52258/affaire-bayen-a-chalons-lancienne-proviseure-et-lancien-recteur-mis-en-cause-par-linspection-generale

Ainsi, l’affaire Bayen incarne une culture institutionnelle du silence et de la protection hiérarchique, où l’inaction généralisée a prévalu sur la protection des enfants, transformant des alertes répétées en un scandale d’État.

1) Résumé ciblé : ce que montre le dossier (faits essentiels)

Le signalement collectif et réitéré à partir de 2021 (associations, personnels du lycée, groupes de parole) a produit des éléments concordants (harcèlement, sexualisation des cours, pressions et enfin témoignages d’agressions et de viols) qui auraient dû déclencher des mesures administratives de protection bien avant toute décision pénale. Pourtant, pendant plus de deux ans, ces alertes ont été traitées comme un « conflit interpersonnel » ou une « chamaillerie locale », sans enquête administrative robuste ni suspension préventive. (https://www.mediapart.fr/journal/france/090425/des-annees-d-inertie-face-un-professeur-predateur-sexuel-l-education-nationale-accusee-de-fautes)

2) Où l’académie de Reims porte une responsabilité directe

a) Rectorat et services : le rectorat (fonction du recteur en place à l’époque) a reçu dossiers et échanges, mais a répondu par une lecture restrictive des éléments, difficiles à « caractériser » pénalement, et s’en est remis à la lecture du cabinet et du service juridique plutôt qu’à une démarche proactive de protection. L’IGÉSR constate que l’administration s’est focalisée sur la forme (contradictions, manque de plainte «directe ») au lieu d’évaluer le risque pour les élèves.

b) DRH / cabinet / inspectrices : les services (DRH, inspectrices, cheffe de cabinet) n’ont pas enclenché de suivi administratif ni d’enquête interne immédiate malgré des indices répétés ; le rapport souligne que la chaîne de décision s’est laissée guider par des interprétations minimisantes. Cela relève d’un manquement institutionnel (prévention / devoir de protection) plus que d’un simple dysfonctionnement individuel. (le rapport de l'IGESR semble introuvable ce soir sur le site)

3) Les mécanismes d’inaction : culture et procédures qui ont joué contre les victimes

  • Priorité à la présomption d’innocence interprétée comme paralysante : l’administration a utilisé la présomption d’innocence pour refuser d’enquêter administrativement, au lieu de distinguer clairement procédure pénale et mesures administratives de protection. Le rapport note que cette lecture a servi d’excuse à l’inaction.

  • Crainte du « terrain miné » et de l’instrumentalisation : des annotations (« attention, terrain miné »!!!) et une rhétorique de « conflit » ont fait basculer la lecture vers une mise à distance du lanceur d’alerte plutôt que vers la prise en charge des risques. Cette posture protège l’institution au détriment des personnes vulnérables.

  • Absence de coordination entre ministères, rectorat et parquet : malgré des signalements (article 40 par une association), la connexion entre plateformes/signaux et réaction rectorale est restée défaillante. (https://www.elle.fr/Societe/News/Viols-dans-un-lycee-de-la-Marne-le-recteur-informe-des-faits-des-2021-4342504)

4) Conséquences administratives et symboliques : la responsabilité institutionnelle confirmée

  • Retard des mesures protectrices : la suspension n’est intervenue qu’en septembre 2023 après dépôt de plainte; d’autres mesures administratives auraient pu être prises bien avant sur la base d’alertes internes. Le retard est donc imputable à la décision administrative (académie/rectorat).

  • Recyclage des fonctions et signal envoyé : la promotion/nomination récente de hauts responsables mis en cause dans la gestion du dossier (décret / JO pour une nomination au cabinet du Premier ministre) laisse une impression de faible responsabilité institutionnelle ... et nourrit la parole des victimes et lanceurs d’alerte selon lesquels l’institution protège ses cadres. Cette dimension symbolique aggrave la défiance publique.

5) Pourquoi on peut qualifier l’inaction de « systémique » (et pas seulement individuelle)

  • Multiplicité des échelons concernés : proviseure, adjoint, inspectrices, DRH, cabinet du recteur — autant d’acteurs qui, ensemble, n’ont pas déclenché les processus de protection. L’IGÉSR parle explicitement d’une chaîne de responsabilité dysfonctionnelle.

  • Procédures internes insuffisantes / culture d’inertie : la répétition des réponses (refus de protection fonctionnelle, refus d’enquêter) révèle des faiblesses structurelles (formation, circuits de signalement, critères d’alerte) qui dépassent les personnes nommément impliquées. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000052262723)

6) Impacts concrets sur les victimes et sur la confiance envers l’institution

  • Préjudice subi : le délai d’action a prolongé l’exposition au risque pour des élèves et a isolé les lanceurs d’alerte (sanctions indirectes et stigmatisation de la personne qui a dénoncé). Le rapport souligne le préjudice subi par la lanceuse d’alerte.

  • Crise de confiance : la nomination des responsables et l’absence de sanctions proportionnées entretiennent l’idée d’une double protection (hiérarchique et institutionnelle), ce qui dissuadera d’autres personnels ou victimes de signaler à l’avenir.

7) Recommandations ciblées (ce que l’académie devrait faire pour assumer sa responsabilité)

  1. Mise en place d’une cellule indépendante de protection au niveau académique, chargée d’examiner immédiatement tout signal de violences sexuelles (séparation claire entre instruction pénale et mesures administratives de protection).

  2. Transparence et responsabilisation : communication publique sur les suites données au rapport IGÉSR et justification des décisions administratives ; envisager des procédures disciplinaires lorsque les manquements administratifs sont établis.

  3. Formation obligatoire des recteurs, DRH, chefs d’établissement et inspecteurs sur la gestion des alertes et la protection des mineurs (séparer juridiquement présomption d’innocence et obligation de protection).

  4. Réparation symbolique et matérielle pour les lanceurs d’alerte et victimes (écoute, soutien psychologique, garanties contre représailles).

8) Conclusion éclairée : la responsabilité de l’académie de Reims est structurelle

L’affaire Bayen n’est pas seulement le résultat d’erreurs d’analyse ponctuelles : elle révèle une architecture décisionnelle et culturelle à l’intérieur de l’académie de Reims qui a systématiquement neutralisé les alertes. Le rôle du rectorat et de ses services (lecture restrictive, repli sur le juridique, stigmatisation des lanceurs d’alerte, absence de mesures protectrices) en fait un acteur central de l’inaction. Tant que l’académie n’engagera pas une remise à plat des procédures, des responsabilités et des sanctions administratives, le risque de reproduction restera élevé, et la confiance des familles et des personnels restera profondément entamée.