HELPEN - ASSOCIATION RECONNUE D'INTERET GENERAL - LUTTE CONTRE LE HARCELEMENT MORAL ENTRE PERSONNELS DE L'EDUCATION NATIONALE

Compte-rendu de l'entretien de Helpen avec Ève Seguin à Montréal, le 20 février 2025

Le 20 février 2025, HELPEN a rencontré Ève Seguin, professeure à l’UQAM et spécialiste du mobbing académique. Son analyse éclaire les mécanismes collectifs du harcèlement moral, en particulier dans les institutions publiques comme l’Éducation nationale. Dans cet échange agréable et fructueux avec Mme Seguin, professeur à l'UQAM de Montréal, Québec, nous avons abordé le mobbing (processus collectif d’exclusion violent et systémique), le rôle des institutions (pourquoi elles protègent souvent les harceleurs), les stratégies de défense (comment se prémunir contre une campagne de diffamation) et les leviers d’action (comment HELPEN structure sa riposte face à l’inertie institutionnelle)

ENTRETIENS

Helpen

3/3/202510 min read

Compte rendu de l’entretien avec Ève Seguin – 20 février 2025, Montréal, Canada

Le 20 février 2025, HELPEN a rencontré Ève Seguin, professeure au Département de science politique de l’UQAM à Montréal, pour échanger sur le mobbing (harcèlement de meute) dans les milieux universitaires. Nous avons échangé longuement sur les dynamiques de harcèlement de meute (l’extermination concertée d’une cible humaine, selon ses propres termes), de harcèlement moral entre personnels de l’Education nationale en France et du harcèlement institutionnel.

Eve Seguin a particulièrement étudié le phénomène du mobbing (harcèlement de meute) dans le milieu universitaire. Contrairement au harcèlement individuel, le mobbing est un processus collectif où un groupe cherche à exclure un individu perçu comme une menace à leurs intérêts. Ce processus implique des rumeurs, des diffamations et des manœuvres visant à discréditer la cible, souvent sans que celle-ci en soit consciente dans un premier temps.

Son expertise, basée sur des recherches approfondies et des publications de référence, éclaire les mécanismes collectifs à l’œuvre dans ces formes de violence organisationnelle. Son article “Mobbing, ou l’extermination concertée d’une cible humaine” décrit un processus collectif, délibéré et extrêmement violent, visant à éliminer un individu ciblé au sein d’une organisation. Il se reconnait par la participation et des pairs et de hiérarchie.

Son travail contribue à une meilleure compréhension des dynamiques de harcèlement et offre des pistes pour prévenir et contrer ces comportements dans les milieux académiques.

Nous avions dix questions, et Mme Seguin nous a fourni bien plus que des réponses.

1. Le mobbing académique : une violence collective et systémique

Dès le début de notre échange, Ève Seguin a précisé la distinction fondamentale entre harcèlement moral individuel et mobbing. Alors que le premier repose sur l’action d’un agresseur isolé contre une cible, le second est un processus collectif impliquant plusieurs acteurs, souvent avec une répartition tacite des rôles (instigateurs, suiveurs, témoins passifs). Ce phénomène s’appuie sur des rumeurs, des diffamations et des manœuvres de discrédit, qui conduisent progressivement à l’isolement et à l’exclusion de la victime.

Elle a souligné que ce mécanisme est particulièrement prégnant dans les universités, où les structures hiérarchiques informelles, la concurrence exacerbée et l’absence de véritables garde-fous institutionnels favorisent la prolifération de ces comportements.

Il existe trois types de harcèlement psychologique :

1/ inter-individuel, ou inter-personnel

2/ bullying : harcèlement de groupe, par collègues ou subalternes

3/ mobbing : harcèlement par les pairs ainsi que la hiérarchie, ce qui le différencie du harcèlement institutionnel ou patronal (dans le public comme dans le privé).

Pourquoi les individus tombent-ils dans ce type de harcèlement que le mobbing ? Probablement, selon l'universitaire, parce qu'ils ont peur de la meute. Par exemple, un DRH ne bougera pas pour aider une victime, car ce sera soit une seule victime oubliée, soit une quarantaine de harceleurs à gérer.

Enfin, et ce point est très important, comme pour le viol, le harcèlement se reconnaît par la culpabilité non pas de l’auteur, mais de la victime.

Madame SEGUIN, nous confirme que l'utilité de l'association HELPEN et de permettre aux victimes de ne pas se défendre seul. En effet, dans les cas de harcèlement, il ne faut jamais rester seul.

2. Des institutions qui favorisent le mobbing

Nous avons abordé la question des mécanismes qui permettent à ce phénomène de se développer, notamment dans les institutions publiques comme l’Éducation nationale. Ève Seguin a identifié plusieurs facteurs structurels :

• Une hiérarchie rigide et opaque, qui protège l’institution au détriment des individus. La hiérarchie souffre d'un défaut de formation, et l'association HELPEN pense qu'il est essentiel de former, c'est une priorité confirmée par Mme Seguin.

• Une impunité généralisée, où les plaintes sont souvent ignorées ou retournées contre les victimes. Pourtant, c'est une priorité de se défendre le plus vite possible, et surtout de ne pas se défendre seul. Le plus tôt sera le mieux, ce qui est la principale contradiction avec l'inertie générale.

• Une culture du conformisme, où tout comportement perçu comme un défi à l’ordre établi peut susciter une réaction collective de rejet. Ce que l'auteur appelle les « passifs » ont peur d'être mobbés eux-mêmes.

Elle a évoqué le parallèle avec les universités, où les processus décisionnels opaques et le manque de recours efficaces laissent le champ libre aux logiques de harcèlement structurel.

HELPEN lui a fait remarquer que dans l'administration française, tous les coups sont permis de la part, des harceleurs et de leurs complices, surtout lorsque la victime ou une association qui la représente commence à défendre ses droits. L'universitaire nous invite à la plus grande prudence, en évoquant des cas de collègues qui « commençaient à gêner » dont les ordinateurs ont été détournés afin de les accuser de façon mensongère des pires crimes.

3. Pourquoi des individus “ordinaires” deviennent-ils mobbers ?

L’un des aspects les plus troublants du mobbing est qu’il ne repose pas forcément sur des individus particulièrement malveillants. Ève Seguin a expliqué que les mobbers sont souvent des personnes ordinaires, prises dans un engrenage collectif. Plusieurs facteurs psychologiques et sociaux les poussent à participer :

  • La peur de l’exclusion, qui pousse certains à suivre le mouvement pour éviter d’être à leur tour ciblés.

  • le carriérisme, quitte à écraser quiconque peut faire de l’ombre.

• Le désir d’appartenance, qui les incite à se conformer au groupe dominant. L'auteur appelle ça le consensus contre le désaccord : il faut que ça roule !

  • Les pressions hiérarchiques, qui peuvent imposer implicitement la mise à l’écart d’un collègue gênant. L’auteure nous renouvelle son appel à la plus grande prudence, car notre action nous expose aux foudres de l’administration si elle est mise en défaut.

Selon HELPEN, il y a clairement une complicité morale, voir pénale de la part de tous les acteurs et « passifs ». Si un fonctionnaire ne signale pas des agissements délictueux à son supérieur hiérarchique, il peut être considéré comme complice d’agissements délictueux.

C'est une image qui revient souvent parmi nos adhérents, celle de la victime isolée et agressée par une ou deux personnes, dans une rame de métro avec quelques dizaines de personnes passives qui détournent le regard ou -pire- saisissent leur téléphone pour filmer, sans agir.

4. Une institution qui protège ses agresseurs

Nous avons évoqué le silence des institutions face aux situations de harcèlement. Ève Seguin a souligné que les organisations ont souvent plus intérêt à protéger leur image qu’à traiter les problèmes de mobbing. Cela conduit à une inertie coupable, où les agresseurs sont couverts et les victimes réduites au silence.

Elle a illustré ce phénomène avec des exemples issus du milieu universitaire, où les instances dirigeantes préfèrent minimiser les affaires de harcèlement, de peur de voir leur réputation ternie. Ce constat est totalement transposable à l’Éducation nationale, où les signalements de harcèlement moral sont souvent détournés contre les victimes elles-mêmes.

Dans tous les cas, il est fort possible que l'administration refuse de traiter un problème systémique. Il faut que l'association insiste sur la nécessité de ce traitement systémique, par une réforme des signalements par une externalisation, des enquêtes et par une impunité immédiate.

5. Comment contrer le détournement des signalements ?

Face à ce constat, nous avons interrogé Ève Seguin sur les solutions possibles pour éviter que les fiches RSST et autres signalements ne soient retournés contre ceux qui les déposent. Elle a insisté sur la nécessité de :

• Créer une instance de signalement indépendante, qui ne soit pas sous l’autorité de la hiérarchie locale.

• Anonymiser les plaintes, afin de limiter les représailles contre les victimes.

• Former les personnels, notamment les inspecteurs et chefs d’établissement, à la reconnaissance et à la gestion du mobbing.

Elle a également mentionné des modèles étrangers, comme certaines pratiques nord-américaines où des commissions externes garantissent l’impartialité des enquêtes.

Madame SEGUIN nous invite à reprendre l'article ‘Mobbing’ de Gabriella Wennubst. Nous proposerons un billet dans les prochains jours avec quelques remarques de cet excellent article.

L’association HELPEN constate par ailleurs la méconnaissance de la Ministre française de l’Éducation nationale quant au dispositif RSST, ainsi que les graves dysfonctionnements des F3SCT. Lors de la séance de questions au Sénat du 20 février, sa réponse expéditive et vague – seulement trente secondes – sur les dix suicides dans l’académie de Normandie évoquée par HELPEN et la sénatrice MORIN-DESAILLY, évoquant des « causes multifactorielles » sans qu’aucune enquête n’ait été diligentée par le rectorat, illustre cette défaillance. Pourtant, la Ministre préside les F3SCT nationales aux côtés de l’ISST, qui, malgré nos sollicitations depuis septembre 2024, n’a toujours pas donné suite à nos courriers.

6. Des recommandations transposables à l’Éducation nationale

Nous avons abordé le rapport de 2018 coécrit par Ève Seguin pour la Fédération québécoise des professeurs d’université, qui formule des recommandations concrètes pour lutter contre le mobbing académique. Certaines de ces préconisations pourraient être appliquées à l’Éducation nationale française :

• La mise en place de formations obligatoires sur le mobbing et ses mécanismes.

• La protection des lanceurs d’alerte pour éviter les représailles.

• La création d’un observatoire indépendant du harcèlement institutionnel.

  • Une modification des statuts de la fonction publique, afin d’encadrer les dérives et de mieux protéger les victimes.

Madame Seguin nous précise un point essentiel. S’il n'y a pas de formation, il ne pourra pas y avoir de progrès. Il faut former tous les personnels, à toutes les échelles. Ces dispositifs de formation permettraient de contrecarrer l'effet de « victim blaming », rejet de la faute sur la victime elle-même. Ils sont essentiels pour aller contrer le mythe de « l'enquiquineur qui l’a bien cherché ».

L'association HELPEN acquiesce, tout en précisant qu'il faut également réformer le droit pénal par rapport au harcèlement moral, ce qui est le combat de notre partenaire Jean-Claude Delgènes du cabinet Technologia.

Il faut sanctionner avec efficacité et rapidité, notamment en déplaçant automatiquement toute personne coupable de harcèlement moral. Cette sanction aurait un effet dissuasif, tout en étant une mesure de bon sens et de justice. En aucun cas, il ne faut déplacer la personne harcelée de son lieu de travail, sauf si elle le souhaite en son âme et conscience.

7. Comment se défendre face à une campagne de diffamation ?

Nous avons également discuté des stratégies de défense pour les victimes de campagnes de dénigrement orchestrées par des collègues ou des supérieurs. Ève Seguin recommande :

• Le recueil systématique de preuves (captures d’écran, enregistrements, témoignages écrits).

• La documentation minutieuse des faits, pour établir un dossier solide en cas de procédure.

• Le recours aux médias et aux réseaux sociaux, qui peuvent parfois jouer un rôle de contre-pouvoir.

  • Le soutien juridique, avec l’appui d’avocats spécialisés en droit du travail et en protection des lanceurs d’alerte.

L’autrice insiste encore sur la nécessité absolue de combattre les rumeurs et les diffamation le plus vite possible. Parmi les rumeurs les plus destructrices et fréquentes : le racisme, le sexisme, l’inaptitude au travail d’équipe. Il est quasiment impossible de combattre ces trois rumeurs. Il est également facile d'accuser une personne d'avoir eu des problèmes similaires dans un précédent établissement, même si ces allégations sont totalement infondées.

L'association HELPEN insiste sur la nécessité d'extérioriser les enquêtes, pour éviter justement le manque de conciliation et les enquêtes à charge. Madame SEGUIN, précise que ce n'est pas certain que cela fonctionne, car il y a beaucoup de soutiens de copinage et de relations lors de ces enquêtes.

8. Comment HELPEN pourrait bénéficier de l’expertise d’Ève Seguin

Enfin, nous avons évoqué les moyens concrets par lesquels Mme Seguin pourrait contribuer au développement de HELPEN. Plusieurs axes ont été identifiés :

1. Légitimité scientifique : aider HELPEN à intégrer une approche académique rigoureuse pour renforcer son argumentaire. La création d’une base de données efficace et sécurisée est désormais notre priorité stratégique.

2. Analyse des leviers institutionnels : décrypter les rouages de l’Éducation nationale et identifier les points de pression et les causes de l’inertie généralisée.

3. Développement d’un réseau international : continuer à mettre HELPEN en contact avec des chercheurs et organisations engagées contre le harcèlement institutionnel. Nous rencontrerons à nouveau Mme SEGUIN en avril prochain à Paris.

4. Création d’un observatoire : structurer une base de données et une cartographie du mobbing dans l’Éducation nationale. Ce point est essentiel pour HELPEN, afin, notamment, de publier les statistiques que l'Education nationale refuse obstinément de rendre publiques.

5. Stratégie de communication : définir les angles de sensibilisation et maximiser l’impact médiatique. HELPEN a désormais l’intention de médiatiser son existence et sa légitimité, validée par sa reconnaissance d’utilité publique par la DGFIP le 11 février 2025, après seulement cinq mois d’existence.

6. Protection des victimes et lanceurs d’alerte : élaborer des stratégies de défense efficaces, inspirées des meilleures pratiques internationales. Nous travaillerons à ces stratégies de lancement d’alertes avec Maître MAZZA du barreau de Paris, spécialisée dans cette activité à haut risque. Notre association est désormais protégée et conseillée par une convention avec le cabinet ARVIS, avec l’aide stratégique de Maître Justine BOURGEOIS et de Maître Benoît ARVIS.

Il nous faut obtenir, compiler, étudier et publier des statistiques, de toute urgence. Lors de notre assemblée générale dans les semaines qui viennent, nous en ferons notre priorité stratégique pour les mois à venir. La composante scientifique d'un observatoire du harcèlement moral entre personnels de l’Education nationale et de la publication d'outils et de données statistiques fiables sera notre priorité sur la deuxième année d’existence de HELPEN.

Conclusion

Cet échange fructueux avec Ève Seguin a permis d’affiner notre compréhension du mobbing institutionnel et de dégager des pistes d’action concrètes pour HELPEN. Son expertise ouvre des perspectives stratégiques pour structurer la lutte contre le harcèlement moral dans l’Éducation nationale et renforcer la protection des victimes. Une collaboration plus approfondie pourrait permettre à HELPEN d’asseoir sa légitimité académique, de développer des outils d’analyse puissants et d’amplifier son impact au niveau institutionnel et politique.