HELPEN - ASSOCIATION A BUT NON-LUCRATIF DE LUTTE CONTRE LE HARCELEMENT MORAL ENTRE PERSONNELS DE L'EDUCATION NATIONALE
Le mobbing dans l’Éducation nationale : un harcèlement systémique
Le mobbing, concept étudié notamment par la professeure de sciences politiques canadienne Eve Seguin, désigne un harcèlement collectif souvent orchestré ou encouragé dans un environnement professionnel. Bien qu’il soit présent dans différents secteurs, ce phénomène prend une tournure particulière dans l’Éducation nationale, où les interactions professionnelles complexes et l’absence de soutien institutionnel favorisent l’effet de meute.
Guillaume DELABY
12/20/20244 min read
Le mobbing, concept étudié notamment par la professeure de sciences politiques canadienne Eve Seguin, désigne un harcèlement collectif souvent orchestré ou encouragé dans un environnement professionnel. Bien qu’il soit présent dans différents secteurs, ce phénomène prend une tournure particulière dans l’Éducation nationale, où les interactions professionnelles complexes et l’absence de soutien institutionnel favorisent l’effet de meute.
Un harcèlement individuel qui se propage
Le mobbing ne débute pas nécessairement comme un acte collectif. Il trouve souvent son origine dans un conflit individuel : une divergence avec un supérieur, un désaccord avec un collègue ou une incompréhension entre membres d’une équipe. Mais là où une situation conflictuelle pourrait se résoudre de manière isolée, elle dégénère lorsque d’autres acteurs s’y joignent, souvent par lâcheté, peur ou opportunisme.
"Le mobbing se construit en effet sur le modèle d’une chasse en meute. Procédant selon des étapes bien identifiées, il vise, parfois implicitement, à l’élimination d’une cible puissante (et donc impossible à attaquer en face à face) et perçue comme nuisible aux intérêts d’individus non nécessairement constitués en collectif clairement visible. Selon Eve Seguin, « le collègue est d’abord condamné, puis les preuves de sa “culpabilité” sont fabriquées afin de l’éliminer ». (citation d'un article de 2020 de Innovation Pédagogique)
Un enseignant victime de critiques injustes de la part d’un supérieur peut voir sa situation empirer lorsque ses collègues, pour protéger leurs propres intérêts ou par conformisme, choisissent de ne pas intervenir. Certains adoptent même une posture de soutien tacite au harceleur, en reproduisant ses critiques, en se montrant distants ou en ostracisant la victime. Ce mécanisme transforme un conflit individuel en un harcèlement collectif, infiniment plus difficile à contrer, car il n’a plus de visage unique.
L’effet de meute : une spirale destructrice
L’effet de meute repose sur plusieurs mécanismes psychologiques et sociaux :
• La peur de l’exclusion : Dans une salle des professeurs, où les relations sont souvent hiérarchisées et basées sur la proximité quotidienne, les collègues préfèrent souvent s’aligner sur le groupe dominant.
• La diffusion des responsabilités : Les individus se sentent moins responsables de leurs actes lorsqu’ils font partie d’un collectif, rendant le harcèlement plus facile à justifier.
• La normalisation des abus : Les comportements hostiles, comme les rumeurs, l’évitement ou les insinuations, deviennent acceptés comme une norme.
Ainsi, une victime de mobbing peut être exclue des discussions professionnelles, ignorée dans les échanges informels ou même désignée comme la cause de ses propres difficultés. Ces micro-agressions répétées, venant d’une multitude d’acteurs, produisent une souffrance psychologique aiguë, des séquelles gravissimes, allant jusqu’à l’épuisement professionnel ou le départ de l’institution.
Une méta-analyse des enquêtes quantitatives montre qu’environ 15 % des mobbés dans une société moderne appartiennent au milieu académique et que de 5 % (Norvège) à 12 % (Grande-Bretagne) des professeurs en poste seraient concernés. Ce mobbing peut laisser des séquelles sur les victimes comparables aux "post-traumatismes d'un génocide" comme le souligne dans ses travaux la professeure américaine Joan Friedenberg. (citation d'un article de 2020 de Innovation Pédagogique)
Un silence institutionnel préoccupant
Le mobbing dans l’Éducation nationale prospère dans un contexte institutionnel où les mécanismes de régulation sont faibles. La hiérarchie, souvent soucieuse de préserver une apparente et trompeuse sérénité, évite de traiter ces conflits, même si le coût est terrible pour ceux qui subissent en silence. Par manque criant de formation pour reconnaitre les signaux faibles et désamorcer les conflits. La peur des recours administratifs ou juridiques renforce cette inertie, laissant les victimes sans soutien.
C’est cette persécution et ce harcèlement qui portent atteinte aux biens les plus précieux d’un être humain : sa santé, ses perspectives économiques, les liens qu’il noue avec la société qui l’entoure. (Gabriella Wennubst, Mobbing, le Harcèlement en entreprise, 2024, Eyrolles). Selon les témoignages reçus par Helpen, ces agissements, particulièrement lorsqu'ils devient collectifs, sont la cause d'une véritable mort sociale. A l'impossibilité de se défendre s'ajoute celle de communiquer.
De plus, les notions de devoir de réserve et de loyauté institutionnelle sont parfois détournées pour museler les victimes, les empêchant de dénoncer les abus. Dans ce contexte, le harcèlement devient une arme de pouvoir, permettant aux agresseurs de renforcer leur position tout en dissuadant d’éventuels contestataires, qui parfois même se joignent au harcèlement collectif.
Une nécessaire redéfinition pour agir
Redéfinir le mobbing dans l’Éducation nationale, c’est reconnaître qu’il ne s’agit pas d’un simple conflit interpersonnel, mais d’un système alimenté par la peur et le conformisme. Le mobbing est un phénomène systémique où chaque acteur, par son action ou son inaction, contribue à une dynamique collective destructrice. Si la personne à l'origine d'un harcèlement était dès le début signalée, recadrée ou punie, cette aggravation ne ne produirait probablement pas.
La prévention passe par plusieurs leviers : une sensibilisation accrue des personnels aux mécanismes de harcèlement collectif, la mise en place de procédures transparentes pour protéger les victimes et la promotion d’une culture de solidarité dans les équipes. Ce ne sont pas de vaines paroles, l'Education nationale a besoin de cette solidarité entre les personnels.
Il est essentiel que la honte change de camp. Les travaux de la psychiatre Marie-France Hirigoyen et de l’universitaire Eva Seguin offrent une base précieuse pour repenser nos pratiques et restaurer une éthique de la bienveillance dans l’Éducation nationale. En comprenant le mobbing et ses rouages, il est possible d’intervenir avant que le harcèlement ne devienne collectif et destructeur.
Je remercie Marina de Russé pour les informations et références précieuses qu'elle m'a transmises, et qui m'ont permis de rédiger ce court article sur ce sujet passionnant.